Canal Seine-Nord Europe : en finir avec ce projet destructeur et inadapté aux enjeux écologiques, économiques, sociaux et démocratiques
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Retrouvez ci-dessous le texte de la motion adoptée au conseil fédéral des 17 et 18 mars 2024


Résumé

Les Écologistes sont favorables au mode fluvial autant qu’au ferroviaire, tous deux moins énergivores et polluants que le routier.

Nous insistons sur la nécessité d’un grand chantier de rénovation et modernisation du réseau fluvial existant, qui n’a pas bénéficié d’efforts à la hauteur de la contribution qu’il peut apporter à la nécessaire transition écologique.

En revanche, nous rappelons notre opposition, depuis 2014, au projet pharaonique de Canal Seine-Nord Europe. Ce projet, dans sa forme actuelle, ne peut en aucun cas s’inscrire dans une trajectoire de transition écologique : volume de terrassements record, mise en danger d’espèces protégées, destruction de terres naturelles et agricoles (dont zones humides et Natura 2000), promesses de trafic et de report modal intenables…

Exposé des motifs

1/ Un projet destructeur de biodiversité :

  • Au moins 82 espèces protégées habitent sur le trajet du canal. Les mesures de compensation prévues, obligatoires depuis la démarche ERC (éviter-réduire-compenser), ne répareront jamais les dégâts colossaux de cet éventuel chantier. Nombre d’études montrent que la plupart des opérations de compensation n’évite pas la perte de diversité, la qualité écologique des écosystèmes étant corrélée à leur ancienneté.
  • Emprise de 3 100 hectares, en grande partie constituée d’espaces naturels ou agricoles, parmi les plus fertiles de France, dont des zones Natura 2000, des sites de reproduction et d’habitat d’espèces protégées, etc.
  • Il existe des inquiétudes concernant la toxicité de l’activité engendrée par le canal, que ce soit en phase travaux ou exploitation.

2/ Un projet qui oublie les impacts du changement climatique sur la ressource en eau :

Ces impacts n’ont pas été pensés lors de la conception du projet.

  • L’alimentation du canal proviendrait d’un pompage de l’Oise, ce qui affecterait l’alimentation de cette rivière en période de basses eaux.
  • Pour éviter les fuites, le canal serait étanchéifié par du limon et de l’enrobé de bitume.
  • Afin d’assurer le niveau d’eau du canal en périodes de sécheresse, la société du canal prévoit la construction d’une réserve d’eau de 14 millions de m³.
  • L’eau maintenue dans le canal et les infrastructures liées pourrait manquer aux nappes de l’Oise. Les parties du canal en surcreusement pourraient fractionner les nappes souterraines et perturber leur circulation.

3/ Un trafic surestimé, basé sur une croissance infinie et des promesses de report modal faussées :

Le rapport de la Cour des comptes européenne et l’avis de l’Autorité environnementale questionnent les prévisions de croissance du trafic (cf. annexe).

Les Écologistes s’opposent à l’augmentation globale des transports de fret et défendent la relocalisation maximum des économies.

Quant au report modal de la route vers le fluvial promis par les promoteurs du projet, il n’est pas confirmé par les faits et les arbitrages (finances, réserves foncières…) visent toujours le développement du trafic routier. 

Le rapport Massoni-Lidsky de 2013 sur le projet le soulignait déjà : « On ne désengorge pas une autoroute avec un canal car c’est de nature très différente. Les études montrent que seulement 3-4 % du trafic autoroutier pourrait être pris en charge par le canal. »

Enfin, il existerait un risque que 40 % du trafic du canal viendrait du rail (ce qui correspondrait à 15 % du volume transporté par le ferroviaire).

4/ Des travaux qui en appellent d’autres :

  • Ponts : la rentabilité des transports sur longue distance nécessite que le projet puisse accueillir des bateaux transportant 3 niveaux de conteneurs. Cela suppose de rehausser les ponts tant au sud qu’au nord du canal. Le coût de ce projet n’est pas intégré au coût du CSNE. Au nord du canal, le Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI) a évalué à 1,8 Md€ la nécessaire reconstruction des 156 ponts trop bas du réseau Dunkerque-Escaut, somme non comprise dans les 5,1 Md€ (déjà sous-estimés) du CSNE. Au sud du canal, sur l’Oise, le rehaussement des ponts n’est pas prévu dans Mageo, le projet destiné à adapter l’Oise au grand gabarit.
  • Plateformes multimodales : sorties du projet, elles devraient être réintégrées dans le coût prévisionnel. 4 sont prévues sur 107 km.

5/ Un modèle économique inadapté aux enjeux écologiques :

A l’heure où il est nécessaire de penser la relocalisation des économies, ce canal ne doit pas être un outil de plus pour augmenter les flux, issus de l’importation à bas-coût et de l’agriculture intensive, aux forts impacts environnementaux et sociaux. Dans une logique économique favorable à la mondialisation et à l’agro-industrie, les subventions accordées à ce projet sont viables uniquement pour un gabarit de 4 400 tonnes* (Vb).

6/ Des promesses d’emplois biaisées :

Nicolas Sarkozy, en 2011, promettait 25 000 emplois nouveaux pour une fin des travaux en 2017. Actuellement, la SCSNE en promet le chiffre de 40 000 à 50 000 en 2050 !

Or, on ne peut imaginer que le CSNE générera autant d’emplois que les complexes industrialo-portuaires du Havre et de Rouen réunis. Par ailleurs, les emplois créés seraient en majorité précaires et de bas niveau de qualification, propres aux plateformes logistiques, modèle économique qui détruit des emplois existants.

7/ Des alternatives non prises en compte :

La première alternative au canal Seine-Nord est la réhabilitation, sur le même axe, du canal du Nord, non suffisamment entretenu. Le développement de bateaux adaptés d’une part au réseau français à petit gabarit Freycinet (Watertruck) et d’autre part au canal du Nord (MultiRégio) est possible et soutenu par des promoteurs européens.

Mais Voies Navigables de France occulte ces projets, tout comme le redémarrage possible du trafic sur le canal du Nord ou le re-développement du trafic sur le réseau des canaux existants.

Motion

Le Conseil fédéral d’Europe Ecologie – Les Verts, réuni les 17 et 18 février 2024, défend :

  • Un modèle économique qui vise à relocaliser au maximum les activités sur le territoire afin de ralentir puis d’inverser la courbe de croissance des échanges dus à la mondialisation des économies.
  • Un modèle agricole libéré des dérives de l’agro-industrie, dans le but d’augmenter notre autosuffisance alimentaire, la qualité des produits et la survie du monde paysan.
  • La protection de la biodiversité, des sols, des espaces naturels et agricoles et de la ressource en eau. Les infrastructures de transport représentant déjà en France 28 % des surfaces artificialisées.
  • En matière de transport fluvial, la modernisation des voies d’eau existantes et de la flotte fluviale, en connexion avec les ports français qui doivent bénéficier d’investissements dédiés pour le transport des marchandises.
  • Le développement du fret ferroviaire par la modernisation du réseau principal et la régénération du réseau capillaire.

Le Conseil fédéral constate :

  • que les dernières études socio-économiques globales du CSNE datent de l’enquête publique de 2007 (pour la DUP de 2008), alors que, en 17 ans, l’environnement économique et climatique a complètement changé.
  • que l’enquête publique de 2015 (pour la DUP modificatrice de 2017) n’a pas été précédée par la contre-expertise socio-économique indépendante imposée par la loi du 31 décembre 2012 (décret du 23 décembre 2013), pour tout investissement de l’État supérieur à 100 M€.
  • qu’aucune alternative ferroviaire n’a jamais été proposée dans les études environnementales, ce qui est en contradiction avec le « Éviter » de la doctrine ERC (loi biodiversité).

Ainsi, le Conseil fédéral :

  • Renouvelle sa ferme opposition de 2014 au projet CSNE et en demande l’abandon ;
  • Demande l’arrêt des travaux préparatoires engagés en 2022 dans le secteur 1 du projet,

ce qui implique :

  • que soit ordonnée une contre-expertise socio-économique du CSNE, en respect de la loi du 31 décembre 2012 ;
  • que l’établissement local SCSNE ne déroge pas à la loi ZAN (zéro artificialisation nette) ;
  • que la doctrine ERC de la loi biodiversité s’applique au choix à opérer entre les différents projets d’infrastructures ;
  • qu’une planification concertée et mieux disante du point de vue environnemental et social pour le transport décarboné des marchandises soit élaborée et mise en œuvre ;
  • que les fonds européens, nationaux et régionaux, soient réorientés vers le développement de solutions (fluviales et ferroviaires) privilégiant  la régénération et la modernisation de l’existant.

Positions antérieures du mouvement

Axe Seine Nord : Oui au report modal, non à un projet pharaonique inutile – Motion votée par le Conseil fédéral des 5 & 6 avril 2014.

Annexes

Chronologie :

1975 : émergence de l’idée d’un canal à grand gabarit en remplacement du canal du Nord (gabarit intermédiaire) ouvert seulement 10 ans plus tôt mais construit sur des plans de 1905.

1984 : inscription du canal Seine-Nord dans le Schéma national des voies navigables (SNVN).

1992-1998 : la Région NPDC, présidée par la Verte Marie-Christine Blandin, propose le canal SN comme alternative au doublement de l’autoroute A1. Le projet A24 (« A1 bis ») sera abandonné en 2010.

1997 : l’abandon du projet de canal Rhin-Rhône fait passer le projet SN en tête des projets de VNF.

1993-1998 : débat préalable sur l’opportunité du projet, début des études préliminaires, 1re concertation sur le choix du fuseau de passage du canal.

2003-2004 : inscription du canal parmi les projets prioritaires français (SNIT), engagement des études, inscription dans le futur RTE-T européen.

2004-2006 : 70 réunions de concertation et 5 grandes réunions publiques sur les territoires recommandées par la CNDP, avec pour garant Jean-Stéphane Devisse, dernier permanent WWF de la lutte contre Rhin-Rhône.

2006 : ministère de l’Écologie, avis sur l’étude d’impact du CSNE.

2007 : enquête publique (EP) préalable à la déclaration d’utilité publique.

11/09/2008 : 1re déclaration d’utilité publique (DUP) du CSNE et de ses aménagements connexes.

05/04/2011 : lancement officiel du CSNE par Nicolas Sarkozy.

2013 : rapport IGF-CGEDD (Massoni) conseillant le report du projet.

2015-2016 : 2de enquête publique suite à la reconfiguration du bief de partage du projet.

2015 : Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur la modification du canal Seine-Nord Europe (59-62-80)

20/04/2017 : 2de DUP (modificatrice) du CSNE

Juillet 2017 : ex-maire du Havre, opposant n°1 au CSNE, Édouard Philippe, 1er Ministre, suspend le projet.

Septembre 2017 : pdt des HDF, Xavier Bertrand lance l’appel de Péronne pour la relance du projet, actée par la LOM en 2019.

Juin 2019 : adoption par la Commission européenne de l’Implementing Act ou Acte d’exécution.

22/11/2019 : signature de la convention de financement en présence d’Emmanuel Macron

Décembre 2019 : loi créant la Société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE) comme société de projet, par ratification d’une ordonnance de 2016.

Avril 2020 : la SCSNE passe d’EPIC à EPLIC (Établissement public local), dont Xavier Bertrand prend la présidence. L’État (ministère délégué aux Transports) se décharge sur les HDF du projet et de la garantie de l’emprunt final de 750 ou 800 M€, que Xavier Bertrand refuse d’assumer. L’État reste solidaire pour les 1 ou 1,1 Md€ à fournir par l’AFITF.

2020 : rapport de la Cour des comptes européenne

2020 Enquête publique environnementale pour le secteur 1

2021 : autorisation environnementale pour le 1er tronçon du projet

22/04/2022 : DUP de Mageo (mise au grand gabarit de l’Oise)

10/11/2022 Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le projet de canal Seine-Nord Europe de Passel (60) à Aubencheul-au-Bac (59)

24/11/2022 : présentation du rapport développement durable de la Société du Canal Seine Nord Europe 2021-2022

28/11/2022 au 13/12/2022 Enquête parcellaire complémentaire simplifiée CSNE – Secteur 1

Prises de position de collectifs citoyens :

Quelques données :

  • Le CSNE est un maillon du projet Seine-Escaut, qui vise à créer un nouveau corridor entre la Seine et les ports du Nord (Anvers, Rotterdam…) via l’Oise.
  • Le canal proprement dit ferait 107 km et relierait Compiègne (Oise) à Aubencheul-au-Bac (Nord), dans la région de Cambrai.
  • Lié au projet Mageo (mise au gabarit européen de l’Oise), qui vise à modifier le lit et les berges de l’Oise entre Creil et Compiègne.
  • Objectif : pouvoir accueillir des convois poussés d’une capacité de 4 400 tonnes de chargement (gabarit européen Vb), de 185 mètres de long et 11,4 mètres de large.
  • La DUP originale du projet date de 2008 et a été prorogée de 10 ans en 2018. Une DUP modificatrice a été promulguée en 2017 suite à la reconfiguration du bief de partage dans le but d’alléger le coût de l’ouvrage.
  • En 2017, Édouard Philippe, maire du Havre anti-canal devenu Premier ministre, suspend le projet mais Xavier Bertrand en exige le redémarrage.
  • La Société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE) est créée en 2016 et ratifiée en 2019 pour gérer les travaux et la promotion du projet.
  • En 2020, la SCSNE passe du statut EPIC à EPLIC (établissement public local) à la demande de Xavier Bertrand, qui en devient le président. Le ministère délégué chargé des Transports n’est donc plus en charge du canal.
  • En 2022, des travaux de compensation et d’autres travaux préparatoires ont débuté. La construction du canal proprement dit est prévue dès 2024, pour une durée de 7 ans.
  • Le projet comprend la construction de 7 écluses (6 grandes et 1 moyenne), 62 ponts et 3 ponts canaux, dont un de 1,3 km. Il comprenait à l’origine la construction de 4 plateformes multimodales (ports intérieurs) que la 2e DUP a supprimés. Elles ne sont donc plus incluses ni dans le coût du projet, ni dans ses études d’impact, bien qu’étant au centre des discours sur l’utilité du CSNE.

Éléments de l’Autorité environnementale : 

  • Un volume de terrassements record : selon l’Autorité environnementale, dans sa mise à jour de 2022 du volume des terres excavées (déblais/remblais), on est en présence des plus gros travaux d’aménagement d’infrastructure en France : peu ou prou 78 M de m³ de terrassements*, dont 48 M sont réutilisés en remblais et 30 M de déblais restent excédentaires, à utiliser en agriculture, en industrie, ou à entasser dans la nature. Cela s’ajoute à l’emprise du canal lui-même, évaluée à 3 100 hectares.
  • L’autorité environnementale souligne, dans son avis rendu en 2022, les conséquences de ces destructions : « pertes de surfaces, augmentation du prix du foncier, morcellement des espaces, coupures des réseaux de drainage et d’irrigation, voire relocalisation nécessaire des forages agricoles ou industriels ». Sans parler de la relocalisation des captages d’eau potable.
  • Dans son avis rendu en novembre 2022, l’autorité environnementale affirme que « Le bilan se fonde sur un pur modèle d’offre et s’appuie sur une prévision de croissance manifestement surévaluée ». En effet, les hypothèses de croissance se fondent sur la « base d’un taux de croissance annuel moyen hors inflation de 2016 à 2070 de 1,6 % pour la France (1,4 % pour l’Union européenne), ce qui correspond à une multiplication par 2,76 du PIB sur la période ».

Éléments de la Cour des comptes européenne : 

La Cour des comptes européenne a rendu en 2020 un rapport spécial sur 8 méga-infrastructures européennes. Ce rapport défend les 8 projets en proposant de les accélérer mais questionne cependant les prévisions de trafic attendues du canal Seine-Nord Europe et les dérapages financiers (budget multiplié par 3) ainsi que le retard pris par le projet (18 ans selon eux).

Sur la question du trafic attendu, le rapport souligne : « le risque existe que les prévisions de trafic soient trop optimistes ». Pour que l’objectif de trafic soit atteint, il faudrait « une multiplication par quatre du flux habituel de matériaux de construction transportés par voie fluviale sur le canal Seine-Nord Europe au cours des 30 années suivant l’entrée en service » ainsi qu’» un déplacement massif du trafic routier conteneurisé (…), entraînant un transfert, vers ce canal, de 36 % du fret transporté sur l’ensemble de l’axe ». La part du fret fluvial devrait ainsi être multipliée par 38…

Et le rapport conclut que « la liaison fluviale Seine-Escaut a été approuvée sur la base de prévisions indiquant que le trafic sur le canal Seine-Nord Europe serait quatre fois plus élevé en 2060 par rapport à la situation de référence censée prévaloir en 2030 en l’absence du canal. Cela nécessiterait une augmentation substantielle des volumes de marchandises traversant la France et l’Europe. Or les statistiques concernant les 10 dernières années n’indiquent pas que cela se produira ».