TRIBUNE parue sur le site de La Croix : Alors que les dirigeants réunis à la COP26 planchent sur la transition écologique des transports, Karima Delli, présidente de la commission transports et tourisme au Parlement européen, rappelle la lourde responsabilité du secteur aérien dans la pollution du secteur et défend le ferroviaire.
Sur les transports, la COP26 a un train de retard !
Alors que la COP26 est désignée comme le sommet de la dernière chance en matière de lutte contre le réchauffement climatique, les 400 jets privés alignés sur le Tarmac de Glasgow font désordre. Plus que cela même, l’image des plus hauts dirigeants de la planète descendant de leur avion privé pour se rendre à un sommet sur le climat cristallise à elle seule toute l’hypocrisie et la faiblesse de leur vision écologique. Après un tel contresens on peut bien demander aux citoyens lambda d’éteindre les lumières et de compter les chasses d’eau qu’ils tirent, personne n’est dupe. L’agrégation des meilleures volontés individuelles et des gestes éco citoyen stagnerait autour de 5 à 10 % de baisse de l’empreinte carbone. Il est donc nécessaire d’agir sur des leviers collectifs et institutionnels. À l’heure où le chapitre des transports est sur le point de s’ouvrir à Glasgow, nos dirigeants ne peuvent plus rester sourds à l’urgence de changer nos structures en profondeur.
En ce sens ce « jetgate » est loin d’être un scandale anecdotique car il concerne le nerf de la guerre climatique : le secteur des transports. Toutes branches confondues, ce dernier représente plus d’un quart des gaz à effet de serre dans le monde. Sans compter que ces émissions continuent d’augmenter depuis les années1990 (en France, elles ont grimpé de 9 %).
Condition de nos échanges et de notre mobilité au quotidien, le transport est le squelette de nos sociétés. Dès lors, on peut aisément comprendre qu’il devienne un enjeu de transition écologique déterminant. Bien loin des clichés de politique punitive, le passage au transport durable pourrait générer des économies de 70.000 milliards de dollars d’ici 2050, selon la Banque mondiale. Il faut voir là une chance historique de rendre notre économie plus résiliente et d’infléchir les changements climatiques.
Dans cette bataille qui reste encore à mener, la relance du ferroviaire est un mouvement décisif qui devrait occuper toute l’attention de nos dirigeants.
Qu’il soit question des marchandises avec le fret ou de nos déplacements via les trains de nuit, le rail est une solution d’avenir qui nous permettrait de renforcer la cohésion de territoire tout en réduisant notre recours à l’avion. La quantité de vol ayant explosée avec l’avènement du low cost et l’absence déloyal de taxe sur le kérosène, notre note climatique n’a fait que de se détériorer et l’Europe conserve une grande responsabilité dans cette gabegie.
En effet, un rapport récent de Green Peace pointe que les déplacements en avion ne concernent fondamentalement qu’un petit nombre de personnes pour une production de gaz à effet de serre disproportionné : 1 % de la population mondiale est à l’origine de la moitié des émissions mondiales de l’aviation, de nombreux voyageurs fréquents étant européens. Ce sont ces déplacements court-courriers qui ont un impact climatique démesuré.
La convention citoyenne ne s’y est pas trompée, c’est en priorité contre ce non-sens que nous devons nous mobiliser car en terme d’émission de CO2 par kilomètre, l’avion est 30 fois plus polluant que ne l’est le train longue distance. Alors pourquoi tant d’hésitation alors que ces lignes de train existent déjà ?
Parmi les 150 routes aériennes de moins de 1.500 km les plus fréquentées d’Europe, une alternative ferroviaire de moins de 6 heures existe dans un cas sur trois. Il en est de même pour les 250 court-courriers les plus fréquentés en Europe au sens large (UE, Norvège, Suisse et Royaume-Uni) où, dans 73 cas, il existe une alternative ferroviaire qui prend moins de six heures. Moins de 6 heures pour économiser une nuit à l’hôtel et se réveiller directement dans le centre-ville tout en s’épargnant la galère des navettes à la sortie de l’aéroport. Les avantages sont nombreux et cette politique, facile à mettre en œuvre.
La relance du ferroviaire est un des leviers incontournables pour assainir nos déplacements et faire de chacun des kilomètres que nous parcourons, un geste en faveur d’une société plus résiliente. D’autres alternatives et solutions existent (sortie des véhicules thermiques, accompagnement du secteur aéronautique vers l’hydrogène, remplacement du fioul lourd dans le maritime, développement des transports en commun). Toutes sont complémentaires mais aucune d’entre elles ne seraient se limiter à la responsabilité des citoyens seuls. Nous avons besoin de volonté politique forte et d’engagement de la part des acteurs économiques qui sont la principale cause du réchauffement climatique.
Arrêtons de culpabiliser les colibris et osons enfin demander des comptes aux incendiaires ! Pour que tous ces sommets, toutes ces marches pour le climat ne restent pas sans lendemain. Aujourd’hui nous attendons des actions concrètes des États et des entreprises. Qu’ils assument que les enjeux de transport, de climat et d’emploi sont interdépendants.
Ensemble, nous devons repenser l’industrie, le secteur énergétique et les transports, et tout notre mode de vie. Les transformations nécessaires sont économiquement abordables et techniquement faisables. Il n’y a plus de temps à perdre.