Pour un écosystème des mobilités autour du ferroviaire : des trains réguliers du matin tôt à tard le soir !
Partager

Retrouvez ci-dessous la motion votée lors du conseil fédéral des 1er et 2 juillet 2023


Exposé des motifs

Contexte général

Le secteur des transports représente en France près d’un tiers des émissions françaises de gaz à effet de serre (GES) [1]. C’est le premier poste d’émissions et le seul secteur qui ne les a pas réduites depuis 1990.

Au sein de ce secteur, les transports routiers contribuent à hauteur de 94% des émissions [2]. Ils pèsent également très lourdement, via les oxydes d’azote et les particules fines et très fines, sur la qualité de l’air. C’est ainsi que, pour l’hexagone, selon des études scientifiques, entre 48 000 et 97 000 décès prématurés sont imputables à la seule combustion des fossiles. Le train, en revanche, n’est responsable que de 0,3% des GES.

Sur ces enjeux, auxquels il faut ajouter l’énergie, le train est une solution particulièrement efficace tant pour le transport des personnes que des marchandises (fret), en comparaison avec l’automobile, les poids lourds et les avions.

D’autre part, par manque de transports publics de qualité, il devient de plus en plus difficile de vivre dans certains territoires, et l’automobile – du moins pour les personnes qui y ont accès [3] – est devenue un moyen de déplacement contraint, avec les impacts financiers, environnementaux et climatiques que l’on connaît. A contrario, le train peut devenir un outil puissant d’égalité des territoires et d’apaisement de la société.

Pour les écologistes, le ferroviaire doit devenir « l’épine dorsale des mobilités », à condition de mettre en œuvre un « écosystème » efficace autour de lui.

« Écosystème », c’est à dire, mise en place de « rabattements » vers les gares, avec des bus suffisamment nombreux et coordonnés (avec les trains), des infrastructures cyclables et des cheminements piétons, ainsi que l’aménagement des gares en “pôles d’échange multimodaux” (PEM). Les services express régionaux métropolitains (SERM), récemment annoncés, participent de cette dynamique.

Pour que cet ensemble d’offres réponde réellement aux besoins des habitant·e·s, le chantier de base consiste à repenser à grande échelle les questions horaires, en partant de « la colonne vertébrale » des mobilités que représente le ferroviaire.

Ce chantier colossal sera adossé à celui de la simplification et à une plus grande cohérence du parcours voyageurs concernant la billettique et l’accès à l’information multi-opérateurs qui sont aussi deux obstacles très forts à l’utilisation du train.

C’est cette question spécifique, la question horaire, qui est développée dans cette motion. D’autres aspects du ferroviaire (industriel, communautés tarifaires, ticket climat etc.) seront traitées en détail dans les prochains mois. La motion s’appuie sur le constat des nombreux défis à relever ainsi que sur le retour d’expérience d’autres pays européens et des tentatives françaises passées (Annexe 4) pour mettre en place des solutions systémiques.

Les défis à relever

Le train nous accompagne dans notre histoire collective depuis près de deux siècles et suscite chez bon nombre de nos concitoyen.ne.s un attachement particulier. Mais peut-on encore qualifier la France de “grand pays du ferroviaire” quand on observe le manque d’investissement dont il a fait l’objet depuis quelques décennies ?

Car derrière le succès technologique du TGV se cache un réseau « classique » en mauvais état[4], des trains du quotidien en retard ou supprimés, des fréquences insuffisantes et des horaires inadaptés, ainsi que la disparition de liaisons interrégionales. L’« effet réseau » est de moins en moins opérationnel sur une large part du territoire.

Augmenter les investissements et la part modale du ferroviaire

La part modale des transports ferrés n’est que de 10%, pour le transport voyageurs (% de passagers.km) comme pour le transport de marchandises [5].

Les chiffres de l’investissement dans les infrastructures ferroviaires en Europe par habitant.e montrent que la France est mal placée en Europe (45€ contre 124€ en Allemagne et 413€ en Suisse en 2021) [6].

Rendre le service plus efficace

L’intensité des circulations est plus faible en France que dans la moyenne européenne [7].
Le réseau ferroviaire français est le deuxième plus étendu d’Europe mais aussi l’un des moins circulé : par kilomètre de ligne ferroviaire, le nombre de circulations est deux fois moins élevé qu’en Allemagne.

Chaque matériel roulant régional parcourt individuellement deux fois moins de kilomètres chaque année qu’en Allemagne ou en Suisse [8].

Donner une meilleure fiabilité au secteur du fret ferroviaire fragilisé dans sa capacité à remplacer le routier par les problèmes de ponctualité.

Améliorer l’articulation entre infrastructure et exploitation

La nécessité de rénover et moderniser le réseau existant fait désormais consensus. Cependant, le sujet de l’exploitation reste en retrait. Or, la marge de manœuvre en termes d’exploitation du réseau ferré et des circulations est considérable. Certaines habitudes contre-productives restent bien ancrées :

  • Le prix d’accès au réseau ferré est le plus élevé d’Europe [9] et empêche une augmentation du nombre de trains. Ainsi les coûts fixes du réseau restent anormalement à la charge des opérateurs, contrairement au réseau routier (hors autoroutes concédées). Comme dans les pays voisins, l’entretien et la modernisation du réseau ferré devraient reposer sur d’autres financements publics, indépendants du nombre de trains. La structure de la tarification de l’infrastructure doit être refondue.
  • De ce modèle découle une nécessité économique de remplir au maximum un minimum de trains et de considérer les heures creuses comme inutiles. Pourtant, comme le dit fort justement le document du CEREMA sur les coûts des TER, “on ne construit pas une usine de voitures pour en produire seulement 2h le matin et 2h le soir !” [10]

Par un double cercles vicieux, le système détruit le ferroviaire et l’attractivité des transports publics :

  • Les horaires entre différents modes de transports ne sont pas suffisamment coordonnés, en raison d’une organisation cloisonnée, notamment entre le réseau national et les régions (qui exploitent les trains régionaux et les bus interurbains) ou autres Autorités Organisatrices des mobilités (AOM) locales.
  • Dans les prochaines années, il faudra relever le défi de la montée en puissance des services express régionaux métropolitains (SERM), développement qui est susceptible de provoquer des conflits d’usage avec d’autres types de circulations (TGV, Intercités, fret…).[11]
  • L’organisation de l’entretien et de la maintenance du réseau ne doit pas pénaliser la circulation des trains réguliers. D’autres pays européens ont depuis longtemps modifié leurs pratiques en la matière.
  • Enfin, le « personnel roulant » a des journées hachées et est souvent obligé de faire de longues pauses avant de pouvoir rentrer à sa gare d’attache.

Un outil au service du choc d’offre : le cadencement

Pour doubler la part modale du ferroviaire d’ici 2030, la régularité de la desserte (fréquence, nombre de trains et amplitude horaire) est un facteur déterminant en termes d’attractivité.

Elle doit être organisée à la fois dans un souci d’équité territoriale et dans l’objectif de donner de la souplesse aux mobilités du quotidien.

Il s’agit d’instaurer un cercle vertueux avec des trains suffisamment nombreux pour créer une dynamique de fréquentation et donc de recettes.

Pour les Écologistes, sans une réflexion sur les systèmes horaires à l’échelle nationale, et plus précisément le cadencement intégral, à l’instar de nombre de nos voisins européens, il sera ardu de mettre en place une « nouvelle donne ferroviaire » [12], d’augmenter la part modale du ferroviaire et de réussir le développement des services express régionaux métropolitains.

A noter que le cadencement ne veut pas dire automatiquement fréquence élevée. C’est la combinaison des deux qui permet d’améliorer la productivité du système, d’accroître fortement l’attractivité des services pour la clientèle et donc d’augmenter l’utilité du système et les recettes pour les opérateurs.

Qu’est-ce que le cadencement ?

Le cadencement crée un système de “tapis roulant” qui permet de mieux remplir les heures creuses.

Il organise les circulations par « familles de trains » (liaisons nationales, régionales, périurbaines). A l’intérieur de ces “familles”, pour une ligne donnée, les trains partent à intervalles réguliers selon une cadence d’1 heure, 1 demi- heure ou ¼ d’heure.

Par exemple, un train partira d’un point A à B à 10h01, 11h01, 12h01 etc…

De même pour l’heure d’arrivée, car les politiques d’arrêts doivent être harmonisées par « familles de trains ».

Le cadencement présente de nombreux avantages, sur le plan de l’attractivité du train comme de son fonctionnement. Il permet :

  • d’offrir à l’usager·e un système lisible et mémorisable. En cas d’imprévu, l’horaire du train suivant est une évidence. Cette flexibilité, qui tend à se rapprocher de celle de la voiture, encourage le report modal car on peut « compter sur le train ». Et en effet, lorsque le cadencement est mis en place sur une ligne, on constate que la fréquentation augmente.
  • d’améliorer les correspondances et donc les temps de déplacement, par la mise en place d’un système des “rendez- vous” entre les trains et également avec les autres modes de transports, trams, bus régionaux, qui arrivent quelques minutes avant le départ des trains et repartent après leur arrivée.
  • d’optimiser la capacité du réseau : faire passer plus de trains à infrastructures constantes, pour les différents types de trafic, et d’optimiser l’utilisation des sillons [13].
  • de mieux identifier la capacité disponible pour le fret, qui suscite actuellement un regain d’intérêt dans le débat public, étant donné son importance dans l’enjeu de transition écologique.
  • de mieux planifier la maintenance des matériels et les horaires sur le long terme grâce à leur prévisibilité.
  • de mieux organiser les journées des conducteurs qui sont trop souvent déséquilibrées.

Motion

Pour un écosystème des mobilités autour du ferroviaire. Un outil : le cadencement intégral

Le conseil fédéral réuni le 1er juillet 2023 affirme la nécessité de :

  • en condition préalable, refondre le système de tarification de l’usage du réseau (« péages ») à l’image de ce qui se fait dans les pays voisins.
  • élaborer un grand projet de cadencement à l’aide d’un plan pluriannuel, coordonné entre l’État, les Régions et l’ensemble des autorités organisatrices, qui permettra, étape par étape, de proposer à terme sur toutes les lignes et toutes les gares a minima un cadencement à l’heure.
  • cadencer en priorité les lignes nationales et interrégionales. En effet, il est nécessaire de placer d’abord les trains longue distance et de poursuivre avec les trains régionaux et locaux.
  • organiser avec les régions et l’ensemble des autorités organisatrices la coordination des cars et des bus. Les autorités organisatrices doivent discuter, dans le cadre de projets de territoires, avec les gros générateurs de trafic (établissements scolaires, entreprises etc.) afin qu’ils adaptent dans la mesure du possible leurs horaires à ceux du train, et non le contraire [14];
  • mettre en place l’amplitude horaire et la fréquence des trains : des aller-retours de 5h à minuit et des fréquences a minima (sauf exception) toutes les heures partout en France.
  • établir les travaux sur l’infrastructure (points de croisements par ex ) selon les besoins nécessaires au cadencement. C’est la desserte envisagée qui doit conduire à un programme de travaux et non l’inverse.
  • Travailler à rendre progressivement les correspondances les plus utilisées les plus commodes possibles dans les gares : quais proches (de part et d’autre du même quai), et toujours les mêmes quais.
  • mettre en place une billettique prenant en compte la totalité des déplacements avec des outils numériques pour trouver les itinéraires et les billets, incluant tous les opérateurs. Il s’agit de l’interopérabilité billettique. Une autorité nationale doit réguler cette question cruciale avec un véritable pouvoir coercitif vis à vis des services billettiques.
  • Revaloriser les métiers du ferroviaire et la formation pour accompagner le développement de l’offre.
Notes

[1] 31 % en 2019 contre 25 % en 1994. Chiffres clés du transport – Édition 2021 | Données et études statistiques (developpement-durable.gouv.fr)

En 2022, selon les chiffres du CITEPA, les émissions dans le secteur des transports ont même augmenté de 2,5 %, malgré une baisse globale en particulier au dernier trimestre, pour des raisons plutôt conjoncturelles CP-Citepa_Barometre_Emissions_GES_mars2023_VF.pdf

[2] En 2019

[3] Dans une étude de 2022, la Fondation pour la Nature et l’Homme évalue que 13,3M de français.e.s sont en situation de « précarité mobilité » (27,6 % de la population des 18 ans et +) et 4,3M n’ont aucun équipement individuel ou abonnement à un service de transport collectif.

[4] Age moyen du réseau : 28,4 ans (37 ans sur le réseau local) contre 17 ans en Allemagne et 15 ans en Suisse.

[5] Rapport ART Comparaison France-Europe du transport ferroviaire https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/07/comparaison-france-europe-transport-ferroviaire.pdf
En 1960, le fret ferroviaire représentait 56% du transport de marchandises, 46% en 1974, 30% en 1984 (Source: ART 2018).

[6] https://www.allianz-pro-schiene.de/themen/infrastruktur/schienennetz/ La structure de ces coûts mériterait cependant d’être précisée

[7] comparaison-france-europe-transport-ferroviaire.pdf (autorite-transports.fr) Voir ANNEXE 1

[8] 80 à 100 000 km/an contre 150 à 200 000 en Allemagne ou en Suisse, en cohérence avec les préconisations constructeurs.

[9] Rapport ART https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/07/comparaison-france-europe-transport-ferroviaire.pdf Voir ANNEXE 1

[10] https://www.cerema.fr/system/files/documents/2022/10/presentation_modele_de_couts_0.pdf

[11] EF&SEM-Synthèse SD VF 06 04 2020 (ecologie.gouv.fr)

[12] telle qu’annoncée par la Elisabeth Borne suite à la publication du rapport du Conseil d’Orientation des Infrastructures et au choix de privilégier le scenario dit de « transition écologique »

[13] Un sillon est un créneau d’autorisation de circulation alloué à un train sur un parcours précis de l’infrastructure à un instant précis.

[14] Le CEREMA propose une méthode de recensement pour fournir une image des possibilités offertes par le territoire : recensement des “habitants, emplois salariés, établissements scolaires, aménités (restaurants, santé, commerces, etc.) et lits touristiques dans un périmètre accessible en 15mn à pied, 10mn à vélo, 10mn en voiture” autour des gares.


Photo credit: Enzojz on Visualhunt