Bagages oubliés : quelle réponse ?
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Des distraits, il y en a toujours eu, et il y en aura toujours. Oui, il faut appeler à la responsabilité, à la vigilance, et diminuer autant qu’il est possible le nombre de bagages oubliés, aujourd’hui très facilement appelés abandonnés. De nombreux messages sont diffusés en ce sens dans les trains, les cars, les gares, les pôles d’échanges, les lieux publics. Et c’est une bonne chose.

Une réalité continuera néanmoins à s’imposer : sur les dizaines de milliers de voyageurs qui fréquentent ces lieux, il y aura toujours des distraits … et des bagages oubliés. Jusqu’à une époque récente, ils passaient instantanément au rang d’objets trouvés, étaient rangés, stockés quelque temps, et leurs propriétaires venaient, le plus souvent, les récupérer.

Suite à un certain nombre d’événements dramatiques, et plusieurs lois anti-terroristes, tout bagage (ou ceinture), même en main, est désormais suspect : les filtres, portiques et fouilles se multiplient, mobilisant une quantité impressionnante d’agents de sécurité, multipliant les coûts des systèmes de transport, générant des délais supplémentaires. …

Et quand, malgré tous les moyens mobilisés, un bagage est trouvé, il devient « colis suspect », voire « colis piégé », générant dans les minutes qui suivent « alerte à la bombe », évacuation des lieux, et autres messages, consignes et comportements les plus anxiogènes les uns que les autres. 

Pendant ce temps-là, le système de transport se bloque : plus aucun train, car, bus ou métro ne dessert la gare. Et quand les démineurs, enfin arrivés sur place, ont fait sauter le sac-à-dos (ou autre), le système de transport se remet doucement en route, laissant des voyageurs oubliés (et piégés, pour le coup), d’autres retardés, avec des rendez-vous et des correspondances ratés, des clients remboursés, acheminés en taxis ou logés à l’hôtel, toujours aux frais du système de transport.

Lequel ne supportera bientôt plus la « sauce » à laquelle il se trouve mangé : surcoûts, perte de crédibilité, baisse de fréquentation. .. La spirale infernale du déclin est enclenchée.

Et celles et ceux qui sont à l’origine des faits générateurs de ces mesures dite de sécurité peuvent se réjouir : ils auront bientôt réussi leur pari : faire peur, désorganiser la société, porter atteinte à ses valeurs, ses systèmes de production, etc.

Alors décidément non : la méthode déployée dans l’urgence depuis quelques années n’est pas la bonne.

Dire cela n’est pas nier la réalité de certains faits. C’est au contraire les regarder en face, s’interroger sur l’efficacité des mesures prises, prendre du recul, mettre en perspective, imaginer autre chose, qui soit à la fois plus efficace et davantage conforme à nos valeurs.

Restons un moment sur le sujet du bagage oublié (malgré tous les messages diffusés). 

A-t-on tout fait pour qu’il soit détecté et signalé au plus tôt : un numéro de téléphone facilement mémorisable est-il largement diffusé ?

Des chiens renifleurs sont-ils à la disposition immédiate d’une (petite) équipe dédiée à ces situations dans les lieux les plus fréquentés ?

Si oui, leur fait-on confiance sur le diagnostic (contrairement à ce qui s’est encore passé en gare St-Charles à Marseille ce 6 octobre 2017) ?

Des endroits adaptés ont-ils été réaménagés pour stocker ces bagages oubliés ?

A qui fait-on prendre les risques ? A la dizaine d’agents de sécurité qui restent à côté du bagage avant qu’on ne fasse sauter ?  Ou à un seul (ou deux) chargé (s), une fois le bagage « reniflé » de le stocker dans un lieu adapté ? Aux voyageurs que, de fait, on agglutine à proximité de la zone « de danger » puis qu’on pousse en rangs serrés vers les esplanades extérieures où, comble de malchance, se sont produits les derniers assassinats au couteau, en limite de zone « sécurisée » (et de responsabilité du système de transport) ?

Oserons-nous nous avouer que, quelles que soient les mesures prises, leur efficacité présumée, leur coût, les risques énormes qu’ils font prendre à la pérennité du système de transport, le climat anxiogène permanent dans lequel ils plongent les voyageurs du quotidien et au-delà tous les citoyens, nous ne saurons garantir à tout-e un chacun-e une sécurité absolue ? Les derniers événements le montrent bien.

Alors pesons bien les avantages et les inconvénients des mesures prises et à prendre pour rassurer la population d’une part (car c’est souvent de cela qu’il s’agit) et améliorer notre sécurité d’autre part, dans le respect de nos valeurs, de nos libertés fondamentales (dont celle de se déplacer), et de la pérennité de notre système de transport.

Stéphane COPPEY
Ancien président de TISSEO
Secrétaire général de l’association d’usagers NOSTERPACA
Membre du Conseil d’orientation du GART