Télécharger la motion adoptée en Conseil fédéral des 5 et 6 avril 2014
Exposé des motifs
Les écologistes sont favorables au transport fluvial. Toutefois, le gigantisme du projet Seine-nord, son coût financier, son absurdité technique, son impact limité sur le transfert modal de marchandises et son impact plus probable sur la ressource en eau et la biodiversité des zones humides doivent nous conduire à inscrire ce projet parmi les grands projets inutiles, consommateurs massifs de crédits publics européens, nationaux et locaux au détriment des investissements nécessaires pour les transports de proximité et d’intérêt général.
Les écologistes sont favorables au report modal vers le fret ferroviaire et le transport fluvial. Toutefois ils se sont opposés par 2 fois aux projets proposés y compris dans la version la plus récente du rapport Pauvros.
En l’état, comme hier le Canal Rhin-Rhône, le Canal Seine Nord est le canal de tous les excès.
Aujourd’hui évalué à un coût de 4,5 milliards par le rapport Pauvros (mais probablement bien davantage) pour une centaine de kilomètres entre l’Escaut (Nord-Pas-de-Calais) et l’Oise (Picardie), il ne justifierait son existence que par une augmentation importante des volumes transportés (20 millions de tonnes annuelles contre 5 aujourd’hui avec le Canal du Nord) en lien avec les ports d’Europe du nord (Rotterdam, Anvers) sur 3 cibles principales : céréales à l’exportation, granulats extraits des carrières, produits manufacturés à destination de la grande distribution.
Pendant longtemps, le canal Seine Nord est apparu schématiquement comme une alternative au transport routier pour les écologistes en Picardie et en Nord-Pas-de-Calais, notamment dans le combat contre l’autoroute A1bis/A24 visant à doubler l’autoroute A1.
Mais depuis les années 1990 et 2000, le dossier du Canal à Grand Gabarit Seine Nord a avancé.
Nous n’avons plus un vague projet de canal mais un dossier constitué dont nous connaissons les véritables enjeux et les conséquences financières, environnementales, économiques :
‐ un coût de 4,5 milliards (mais probablement davantage) au détriment d’autres projets de transport et qui est contradictoire avec la stratégie visant à revitaliser le fret ferroviaire et à financer les infrastructures de transports du quotidien.
‐ des hypothèses irréalistes de trafic, de volumes transportés, de recettes, de création d’emplois directs et indirects (sur la base de ratios inappropriés), de report modal – lequel pénaliserait essentiellement le ferroviaire sans désengorger les routes.
‐ un prélèvement massif sur les eaux de surface pour un canal en zone sèche (20 millions de m3 prélevés pour le remplir puis des dizaines de millions de m3 pour l’alimentation continue, avec un impact inévitable sur les zones humides)
‐ un tronçon au gabarit européen de 4400 tonnes, alors qu’en amont et en aval ce gabarit ne peut pas circuler (les canaux du nord sont plafonnés à 3000 t.) et que les ponts sur l’Oise (Compiègne, Auvers,…) ne prévoient pas ce gabarit nécessaire pour 3 niveaux de conteneurs (ou 2 de véhicules).
‐ Une absence de prise en compte de l’état de la batellerie artisanale française et de la flotte fluviale, incapable aujourd’hui de rivaliser avec les entreprises de transport des pays du nord.
– Alors que ce seul projet mobilise toutes les attentions sur le fluvial, le réseau historique de canaux de petit ou moyen gabarit souffre d’investissements non réalisés, notamment dans le nord de la France ou le Canal du nord et d’autres canaux pourraient être requalifiés et optimisés,
‐ Un projet qui ignore le rôle que peuvent jouer les ports français (Le Havre , Dunkerque) alors que la Manche peut permettre de donner un débouché direct aux transit des marchandises vers le bassin parisien par les ports du Havre, de Rouen et de Gennevilliers.
‐ Un modèle économique visant à augmenter les volumes de matières transportées vers et à partir du port de Rotterdam, dans le cadre d’un schéma économique globalisé (céréales, produits manufacturés de grande distribution) , ce qui est contradictoire avec notre projet de relocalisation économique.
Extrait du rapport Pauvros : « Pour la filière céréalière principalement implantée en Picardie et en Nord-Pas-de-Calais, cette nouvelle infrastructure facilitera le transport des céréales à des fins de stockage et pour l’exportation. (…) En flux retour, des céréales de moindre qualité pourraient être importées à des fins de transformation ».
Les élus régionaux du Nord-Pas-de-Calais, de Picardie, d’Ile-de-France, de Haute Normandie et de Champagne Ardenne – régions concernées par l’axe Seine-Escaut et ses aménagements – se sont rencontrés à plusieurs reprises pour évoquer ce dossier lors de réunions à Amiens, Paris, Marseille, Montreuil… Les élu-e-s de quatre régions étaient majoritairement défavorables à ce projet.
Le rapport cinglant de l’IGF
Le Canal Seine Nord était initialement prévu sous forme de Partenariat Public-Privé (PPP) avec Bouygues ou Vinci, pour un coût de 4,3 milliards, alors qu’Alain Gest, député UMP de la Somme, était président de VNF. Nicolas Sarkozy et la ministre NKM s’étaient engagés à prendre les dépassements financiers à la charge de l’Etat.
Après la victoire de F. Hollande, un rapport a été confié à l’Inspection générale des Finances (IGF) et au
Commissariat général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).
Ce rapport de l’administration publique était cinglant pour ce projet. Il estimait le coût plus proche de 7 milliards, et comportant de nombreuses anomalies techniques et financières, notamment le PPP.
Ce rapport validait presque en tous points les analyses critiques portées par plusieurs élus EELV ou la FNAUT depuis plusieurs années.
Sa conclusion était la suivante : « L’ensemble des paramètres économiques et financiers du projet de canal Seine Nord Europe ont évalué défavorablement (…) Son coût prévisionnel de réalisation doit être revu à la hausse (…) simultanément, les prévisions de recettes doivent être ré-estimées à la baisse (…) Ces révisions de coûts et de recettes dégraderaient au demeurant fortement le bilan socio-économique du projet, qui devrait également prendre en compte les effets sur la dynamisation du port du Havre et de Rouen, ainsi que sur les résultats de l’engagement national pour le fret ferroviaire. (…). La mission préconise donc un report du projet à une période économique plus favorable, compte-tenu de son caractère pro-cyclique, ce qui permettrait par ailleurs de revoir la configuration de l’infrastructure et le cas échéant de retenir le mode de réalisation le plus adapté ».
L’IGF et le CGEDD pointaient ici les rôles respectifs que devaient jouer le fret ferroviaire et le canal du nord, existant et non saturé. Il était également indiqué « Un report du projet enfin pourrait s’accompagner d’investissements palliatifs de nature à favoriser le report modal, en développant la qualité du réseau fluvial existant et en renforçant les grands ports français, en particulier sur l’axe Seine (Paris-Rouen-Le Havre), ainsi que le fret ferroviaire, sur l’axe Nord comme vers le port du Havre ».
Le rapport Pauvros
Prenant acte de ce rapport officiel qui démontrait l’inutilité et l’infaisabilité de ce projet, le ministère des transports à missionné un député PS du Nord, Rémi Pauvros, pour rendre un rapport sur la reconfiguration du projet, afin de répondre à la pression publique qui se manifeste en faveur de la réalisation du Canal Seine Nord en région Nord-Pas-de-Calais, et dans une moindre mesure en Picardie (portée par des élus territoriaux de droite et de gauche, des acteurs économiques).
Ce rapport, intitulé « un projet pour la relance de la croissance », a été remis en décembre 2013.
Il ramène le projet à un cout de 4,5 milliards sur fonds publics, ce qui implique une révision de l’infrastructure (moindre coût financier mais pas environnemental) et de son mode de financement qui doit solliciter davantage les fonds européens (MIE – Mécanisme pour l’interconnexion en Europe à hauteur de 1,8 milliards) ; nationaux (AFITF – Agence de financement des infrastructures de transport) et territoriaux (budgets des conseils généraux et régionaux) pour le « solde » de 2,7 milliards.
Cette hypothèse n’intègre pas un possible dépassement de budget ni les chantiers connexes (mise au gabarit européen de l’Oise, canaux du nord qui ne sont pas au grand gabarit, aménagements de la Seine amont et aval) qui ajouteraient plusieurs milliards d’euros de financement pour boucler la liaison Seine Escaut à Grand Gabarit.
Les impacts environnementaux ne sont pas traités par ce rapport.
Le gouvernement envisage de prendre position sur le financement de cette infrastructure par l’Etat en vue d’une demande de financements européens, peut-être au deuxième trimestre 2014. Cette décision est lourde de conséquence pour les transports partout en France.
‐ en demandant un financement sur les fonds européens à hauteur de 1,8 milliards, la France consommerait pour ce seul projet plus de 40% du montant potentiellement mobilisable pour les transports au titre du MIE 2014-2020
‐ En mobilisant au moins 1 milliard de l’AFITF, l’Etat devrait diminuer par ailleurs sa contribution à de nombreux projets d’infrastructures ferroviaires ou de transports collectifs
‐ Les prochains CPER des régions concernées devront intégrer ce projet pour une enveloppe qui pourrait approcher le milliard d’euros (pour quatre régions), ce qui prendra nécessairement la place d’autres projets
‐ les budgets de 15 conseils généraux seraient sollicités pour un financement entre 500 millions et 1 milliard d’euros, malgré les difficultés budgétaires que beaucoup rencontrent pour remplir leurs missions sociales et de proximité.
Le rapport de l’IGF indiquait clairement que « la concentration de financements européens sur le projet SNE exercerait un effet d’éviction sur d’autres projets français susceptibles de bénéficier de ces financements européens ».
Soit cette mascarade vise à faire porter le chapeau de l’échec de ce projet irréaliste au niveau européen (« C’est la faute à l’Europe si le Canal n’est pas financé ») , pour ménager quelques intérêts locaux, ce qui est proprement irresponsable.
Soit les fonds sont réellement inscrits et ceci va geler des sommes colossales qui – de facto – ne pourront pas être mobilisées pour les investissements nécessaires dans les transports du quotidien (TER, TET, RER, Métro, Tramway, Bus…) et le Fret ferroviaire, alors même que l’écotaxe poids-lourds n’est pas rétablie. Un tel fléchage de fonds publics serait tout aussi irresponsable, d’autant qu’il implique une mobilisation forcée des études et de l’action publique sur ce dossier, au détriment des autres dossiers qui resteront en souffrance. Il devient donc urgent et de prendre une position sur ce dossier.
Motion
Le conseil fédéral d’Europe Ecologie Les Verts :
‐ Souhaite le développement de modes de transports moins polluants, limitant le transport routier, et pouvant s’inscrire dans une trajectoire de relocalisation des activités sur le territoire.
‐ réaffirme son attachement à la priorité donnée aux investissements dans les transports collectifs pour
répondre aux besoins de déplacements quotidiens des usagers dans les trains régionaux, le réseau francilien, les trains d’équilibres du territoire, les réseaux urbains. Les fonds européens, nationaux et régionaux doivent financer en priorité ces projets pour des raisons sociales et écologiques.
‐ Soutient le développement du fret ferroviaire, et la requalification des voies d’eau existantes et de la flotte fluviale, en connexion avec les ports français qui doivent bénéficier d’investissements dédiés pour le transport des marchandises.
‐ Considère que le projet de Canal Seine Nord ne répond pas à ces critères, que son impact économique, écologique et social ne justifie pas l’engagement de financements aussi importants dans une période de crise économique et écologique.
‐ Constate que le projet de Canal Seine Nord à grand gabarit a fait l’objet d’une étude critique de l’Inspection générale des finances et du Conseil général de l’environnement et du développement durable proposant de reporter le projet et de financer des alternatives plus adaptées
‐ Souhaite que ce projet ne soit pas inscrit dans les priorités françaises du Mécanisme d’interconnexion
européen, ni dans les priorités de financement de l’AFITF, de même que les autres grands projets inutiles,
grands consommateurs de crédits publics.
‐ Exige une plus grande indépendance dans les nominations en lien avec le transport fluvial (à la présidence de VNF en particulier) de sorte que les intérêts locaux ne priment pas sur l’intérêt général
‐ Souhaite que les alternatives complémentaires -ferroviaires, fluviales et maritimes aux transports routiers sur le grand Nord de Paris soient réellement et sérieusement étudiées (l’autoroute ferroviaire nord-sud, la rocade ferroviaire nord de paris Le Havre-Amiens-Reims, l’optimisation du Canal du Nord et du réseau de canaux existant, le développement des ports du Havre vers Rouen et Gennevilliers, de Dunkerque et Calais).
‐ Dans ce cadre un groupe de travail réunissant l’ensemble des représentants des régions concernées sera mis en place rapidement avec les responsables de la commissions transports.
Unanimité moins un blanc
www.eelv.fr /canal-seine-nord-grand-projet-inutile/ 25/04/2014