Le débat sur la gratuité des transports publics est donc (re)lancé
Partager

Le débat sur la gratuité des transports publics est donc (re)lancé. Cette fois pour Paris et l’Ile-de-France.

J’ai un problème de fond avec l’idée de la gratuité pour tous des transports en commun (ou alors que l’eau, l’énergie, la culture, etc… le soient aussi). La gratuité sous condition de ressources oui, l’élargissement important des populations bénéficiant de tarification sociale, oui. Mais la gratuité même pour celles et ceux qui ont les moyens j’ai du mal à comprendre la logique.
Et si la logique financière suffisait à attirer vers les transports publics pourquoi les gens continueraient à se déplacer en voiture qui coûte en moyenne 5000 euros par an quand un Navigo annuel coûte 827 euros par an (et moitié moins si l’employeur en rembourse 50%) donc 6 voire 12 fois moins.

Mais le débat, enfin traité comme tel et non comme une promesse, a du bon. Il va peut être enfin permettre de poser un certain nombre de faits, de chiffres, de contraintes, de contextes, qui obligeront à voir la question dans toute sa complexité et je le crains ses impasses, du moins à court ou moyen terme.

Car en Ile-de-France le sujet est bien plus sensible que dans les villes où les réseaux, bien moins étendus et fréquentés, sont passés à la gratuité (et en sont parfois revenus face à l’impossibilité d’élargir le réseau voire de le maintenir à niveau). Un chiffre résume cela (et il est manifestement bien peu connu) : ce que payent chaque année les usagers pour faire tourner le système de transports publics francilien c’est 3,5 milliards d’euros ! Sur 9 milliards environs de budget de fonctionnement global pour le STIF dont c’est la mission. Le STIF contractualise avec RATP, SNCF et Optile (pour les bus de grande couronne) avec cet argent. Pour résumer.

L’équation sur le papier est simple : pour arriver à avoir la gratuité des transports publics en Ile de France il faut trouver comment remplacer ces 3,5 milliards annuels. Et là ça se corse. Evacuons les solutions souvent entendues et qui ne résoudraient rien en réalité :
– l’économie sur la billetique, les contrôles, les valideurs,… devenus inutiles. D’abord cela signifierait que l’on exonère tous les usagers y compris les touristes, parce que sans ça il faut garder des valideurs, du contrôle,… On ne peut pas imaginer que l’ensemble des contrôleurs sortiraient du système tant ils sont un élément clé de la nécessaire présence humaine en gare et sur le réseau. Et surtout cela ne représente « que » quelques centaines de millions au maximum. Donc on reste très loin du compte.
– utiliser plus les ressources de la publicité ou des espaces commerciaux… Au delà de problème de fond posé par sa prolifération, la publicité ne rapporte en tout « que » 80 millions d’euros tous réseaux franciliens confondus.
– le remboursement des 50% par l’employeur devenant caduc, on pourrait réclamer la même somme aux dits employeurs pour les verser dans le système. Sans doute. Mais même en admettant un accord des employeurs et/ou que le gouvernement accepte le truc (puisque le taux de versement transport, donc la participation des employeurs, est fixé par le Parlement en loi de finances), cela ne représenterait au mieux « que » 700 millions d’euros.

Donc en comptant TRES large sur les points précédents, il resterait autour de 2,5 milliards d’euros à trouver.
Et encore c’est à budget constant or avec toutes les nouvelles lignes en prolongements ou en création (tramways, métros, Grand Paris Express) il faudra d’ici 10 ans environs 1 milliard d’euros de recettes supplémentaires au STIF pour le fonctionnement du système.
Sans compter la probable offre supplémentaire à créer (comment?) rapidement pour absorber l’afflux rapide de nouveaux usagers (puisque c’est bien le but annoncé et louable de la gratuité : accélérer l’abandon de la voiture).

Alors je pose la question : on trouve où ces milliards ? Des impôts nouveaux? Pourquoi pas mais qui l’assumera? Et là encore ce n’est pas dans les mains des collectivités, Paris ou la région, de créer de nouveaux impôts. Et je ne suis pas sûr que la mesure de gratuité resterait longtemps populaire à l’annonce des nouveaux impôts ou des hausses vertigineuses de taux d’impôts existant. Qui seraient difficilement étalées dans le temps vu que la gratuité a priori ce n’est pas étalé dans le temps, c’est d’un coup.

Et j’ose dire ma crainte sur l’impact qu’aurait la difficulté à trouver ces recettes ou de nouvelles recettes sur la qualité du service, la modernisation du réseau (tellement nécessaire et qui va prendre encore des années), le nouveau matériel roulant plus propre et plus capacitaire, les nouvelles infrastructures, la nouvelle offre…

Le débat sera donc sans doute passionnant. A condition que l’on débatte avec de vraies données de base. Sans démagogie ou solutions à l’emporte-pièce et impossibles à appliquer.
Au final ce qui serait intéressant c’est qu’on réussisse à poser dans le débat la question de comment utiliser maintenant sous formes de recettes pour le système de transport public les économies que représenteront la baisse de la pollution et de la congestion en terme de moindre dépenses de santé publique, de meilleur fonctionnement économique,… La clé est peut-être là. Mais ça nécessitera sans doute plus qu’un débat.
J’espère bien en tout cas apporter ma pierre à un débat sur un sujet crucial.

Pierre SERNE, président du Club des villes et territoires cyclables
Ancien vice-président EELV de la Région Ile-de-France et du Syndicat des Transports d’Ile-de-France